M-Seyt
Michel Seyt
Président de Réunir

« Paradoxalement, le contrat CPS a paupérisé la profession »

Patron d’une entreprise familiale basée dans le Cantal, Michel Seyt a été président de la FNTV nationale de 2008 à 2017, Michel Seyt est également président de Klesia vice-président de l’Aftral. Professionnel chevronné, mais aussi excellent connaisseur du cadre social et réglementaire du secteur, il livre son analyse sur la conjoncture et remet en perspective certains éléments.

Propos recueillis par Sandrine Garnier

 

Mobily-Cités : La rentrée scolaire 2022 a été marquée par une forte pénurie de conducteurs. Comment sortir de cette situation de crise ?

Michel Seyt : En Auvergne Rhône-Alpes, il nous manquait 800 conducteurs à la veille de la rentrée.  Les entreprises se sont mobilisées tout l’été pour recruter et former plus de conducteurs, de plus tous les titulaires du permis D ont été mobilisés pour assurer les services au mieux, mais il a fallu mettre en place des adaptations au cas par cas. Cette situation est très éprouvante pour les transporteurs, parce qu’elle accroît la charge de travail pour l’ensemble des équipes.

S’il est vrai que les nouvelles dispositions, comme par exemple l’alternance et l’apprentissage qui commencent tout juste à se mettre en place, auront un effet dans le temps, à court terme je suis plus inquiet.

Cette situation est-elle liée aux effets de la crise sanitaire, notamment au retard pris dans les formations ?

Oui et non. En tant que vice-président de l’Aftral, je peux vous assurer que l’on n’a jamais autant formé de conducteurs pendant la crise sanitaire. Mais ces formations n’ont pas suffi à compenser les départs en retraite liés à la pyramide des âges du TRV, et les démissions. Tous ceux qui faisaient essentiellement des missions de tourisme sont partis, et n’ont pas été remplacés. Il faudra du temps pour retrouver une situation normale.

Il faut aussi relativiser. Le TRV n’est pas le seul secteur impacté. La période Covid a fait beaucoup de mal aux métiers de service. On le constate aussi dans l’hôtellerie-restauration, où il manque 200 000 salariés.

Le défaut d’attractivité est aussi lié aux contraintes du transport scolaire, avec un faible volume horaire et des horaires de travail éparpillés. Les pistes d’amélioration sont sur la table. Seront-elles suffisantes ?

Paradoxalement, on peut constater que la situation actuelle résulte en partie des effets pervers de la création des contrats CPS. Je suis assez ancien dans le secteur pour avoir connu le régime de l’intermittent scolaire, avec ses limites et ses abus… Le contrat CPS a été mis en place dans les années 2000 pour y remédier, mais il a en fait abouti à pérenniser ces temps partiels à 60 heures par mois, pour un salaire de 800 € environ, et à paupériser la profession. A l’époque, on n’a pas su anticiper ce qui allait se passer ensuite, car les titulaires du permis D étaient encore assez nombreux. Beaucoup d’hommes l’avaient obtenu durant leur service militaire, et le métier de conducteur de transport scolaire représentait aussi une activité de complément pour certains. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faudrait donc pouvoir mieux enchaîner les services, et proposer davantage de volume horaire aux conducteurs. Nous travaillons aussi sur la multi-activité, de façon à compléter les horaires de travail avec une activité dans la distribution ou les services à la personne. Il faut agir au cas par cas.

J’ajoute que les Régions ont aussi leur rôle à jouer pour améliorer les choses. En Auvergne Rhône-Alpes, par exemple, le prix représente 80% des critères d’attribution dans les réponses aux appels d’offre. Cette pression ne permet pas aux entreprises d’adopter des stratégies de valorisation sociale. N’oublions pas que, parallèlement, les autorités organisatrices demandent aussi aux transporteurs de s’engager et d’investir dans la transition énergétique.

Depuis bientôt un an, l’envolée des prix des carburants est venue accroître les difficultés, y compris sur les énergies alternatives au diesel. Là encore, la solution passe par les AO…

En Région Auvergne Rhône-Alpes, où l’autorité organisatrice a massivement demandé la conversion au GNV des lignes régulières, certaines entreprises sont confrontées à un dilemme : les prix du gaz ont tellement augmenté qu’elles perdent de l’argent en continuant à faire circuler leurs véhicules. Le rythme des actualisations prévu dans les marchés ne permet pas forcément de compenser les surcoûts, et les modifications des modalités sont strictement encadrées du pont de vue juridique. Toutefois, il existe des solutions, même si c’est compliqué à mettre en œuvre. Et nous avons tous intérêt à y travailler.

Le remboursement des PGE consentis durant la crise vient aussi alourdir les charges des entreprises. Etes-vous favorable à leur étalement ?

Là encore, il faut prendre du recul. On s’est rendu compte qu’un grand nombre de PGE n’ont pas été consommés. Les aides régionales, en Auvergne Rhône-Alpes et dans les autres Régions, ont permis aux transporteurs de ne pas les enclencher. Pour beaucoup d’entreprises, le remboursement a donc été relativement rapide. Cependant, ceux dont l’activité tourisme était majoritaire ont souffert davantage que les autres, et continuent de faire face aux difficultés. Pour ces entreprises, il faudra sans doute assouplir les règles de remboursement.

2022 est marquée aussi par le retour d’Autocar Expo, à Lyon. Qu’en attendez-vous ?

Nous sommes très satisfaits du retour d’Autocar Expo cette année. Les constructeurs sont au rendez-vous, et je ne doute pas que les transporteurs le seront puisque La FNTV y tiendra son Conseil des territoires, et j’espère que nos élus s’y rendront également.

Après l’annulation in extremis de l’édition 2020, il s’agit d’une excellente occasion de se retrouver et d’échanger entre professionnels, dans une ambiance conviviale et chaleureuse. L’occasion aussi de découvrir de nouveaux matériels roulants et diverses innovations, avec des échanges de qualité sur les grandes orientations de notre secteur. Au-delà de son caractère commercial et économique, ce type d’évènement reste indispensable si l’on veut continuer à répondre aux problématiques de la mobilité, et jouer pleinement notre rôle.

 

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