« Le groupe bertolami fonctionne sur quatre énergies »
L’autocariste familial drômois détaille la façon dont il décline, sur ses différents segments marchés, une stratégie énergétique échafaudée jusqu’en 2030.
Mobily-Cités : Comment se répartissent vos activités d’autocariste ?
Yannick Bertolami : L’entreprise bertolami, ce sont un peu plus de 100 véhicules et 170 collaborateurs pour une activité qui s’équilibre en trois tiers entre l’affrètement privé, l’interurbain et l’urbain. Nous faisons partie de ces autocaristes qui exercent quasiment tous les métiers de l’autocar avec aussi bien du transport scolaire que de l’urbain, des lignes SLO avec Flixbus, du grand tourisme avec nos groupes et nos agences de voyage. Pour une entreprise indépendante comme nous, il est essentiel face à des situations de contractions budgétaires, de rythme d’élections politiques qui engendre un ralentissement des prises de commande publique, de s’appuyer sur des activités privées pour pouvoir maintenir notre croissance.
Avec la crise des finances publiques, les AOM serrent-elles la vis dans les appels d’offre ?
Je répondrais de deux façons. La profession avec la FNTV est parvenue à sensibiliser les AOM pour que dans le cadre des appels d’offres, les critères prix soient pondérés afin de favoriser la gestion d’un certain nombre de transitions auprès des autocaristes. Si le prix reste le critère dominant, on risque de continuer à rouler au diesel très longtemps ! En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons été entendus par les autorités organisatrices et notamment l’autorité organisatrice régionale de manière à limiter la possibilité à des acteurs moins-disant de l’emporter. Pour ce qui est de la tendance de prix, on ne peut pas parler de déclin du revenu au kilomètre, on est plutôt sur une augmentation pour des raisons mécaniques. Sous l’effet d’évolutions réglementaires ou conventionnelles, la masse salariale a grossi ce dont tiennent compte les collectivités dans leurs appels d’offre.
Et en matière de transition énergétique, les exigences des appels d’offre laissent-elles une chance aux indépendants ?
Chez bertolami, nous croyons crucial d’avoir une stratégie volontariste en termes de transition énergétique. Un autocariste qui se laisserait guider uniquement par les appels d’offres ou les directives des AOM sans réflexion à long terme se mettrait en danger. En 2019 nous avons établi une trajectoire énergétique jusqu’en 2030, décorrélée des appels d’offres auxquels nous étions en train de répondre, décorrélée des systèmes d’avitaillement dont nous disposions en 2019. Cela nous a conduit à être début 2020 le premier autocariste en France à utiliser de l’Oleo 100, qui existait déjà dans l’univers du poids lourd mais pas chez les autocaristes.
Comment se compose votre mix énergétique ?
Nous fonctionnons avec quatre énergies, la première étant le carburant végétal avec l’Oléo 100 dont nous avons fait bénéficier nos flottes captives. Cela nous a permis d’échapper à la contrainte des délais de livraison du matériel, et en gardant le même véhicule de passer en six mois du diesel au colza. La deuxième énergie alternative, c’est le bio GNV. Nous avons la chance dans la Drôme d’avoir un certain nombre d’unités de méthanisation.
Nous entretenons une relation très forte avec nos agriculteurs pour essayer de contribuer à des projets de méthanisation et limiter la distance entre le gisement et l’usage. J’ajoute que cette problématique nous a aussi encouragé à investir dans un réseau d’avitaillement. Nous avons eu l’idée avec des entrepreneurs du territoire, un spécialiste du BTP, un transporteur routier de marchandises, un industriel de la méthanisation et la SEM de la principale agglomération du territoire de nous associer pour créer des stations de distribution publique d’énergies alternatives dans lesquelles on viendrait s’avitailler. Elles offrent aussi l’opportunité à d’autres entreprises d’opérer leur transformation énergétique sans avoir à se soucier du poste avitaillement qui représente dans le business plan quelques centaines de milliers d’euros d’investissement. Le choix de bertolami a été de travailler sur un réseau de distribution multi énergies, biosourcé.
Quels sont les deux autres énergies ?
La troisième énergie, c’est le diesel pour le grand tourisme et l’international. Nous possédons une vingtaine de véhicules grand tourisme qui sont amenés à se déplacer en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Espagne. L’infrastructure énergétique actuelle ne nous apporte pas les garanties suffisantes pour pouvoir engager la transition énergétique de ces véhicules. En attendant, les dernières normes Euro nous permette d’enregistrer une diminution drastique des émissions.
Enfin la quatrième, l’énergie électrique est réservée à nos véhicules utilitaires légers et à nos véhicules légers
Enfin, comment se situe beti ? Est-ce le laboratoire du groupe ?
Lorsqu’en 2018 nous reprenons l’entreprise familiale avec Benjamin et Fabien, nous nous sommes questionnés sur les différentes transitions à venir dans nos métiers : la transition énergétique bien sûr, la transition sociétale était aussi une évidence. Il allait falloir s’habituer un public de conducteurs plus jeunes, issu d’une formation différente. A l’époque, près de 70% de conducteurs de l’entreprise avait obtenu leur permis lors du service militaire, un temps révolu. Entre temps, la FNTV a obtenu l’abaissement de l’âge légal pour passer son permis. Enfin, la transition numérique n’est pas la moindre. Aujourd’hui la première chose que font nos mécanos c’est de brancher la valise pour faire un diagnostic du véhicule. Cette transition aboutit aussi à remplacer la conduite par un outil numérique. L’exercice de beti vise à automatiser, à donner les moyens de répondre à une pénurie de conducteurs, quand dans le même temps on va vous demander de délivrer toujours plus de services de transport public.
Pour financer la transition énergétique, les CEE apparaissent comme le nouveau gisement, mais est-ce facile d’en disposer ?
Les débats d’Ambition France transports montrent qu’il n’est pas facile d’en bénéficier et qu’il n’est pas non plus facile pour l’Etat d’accepter de détricoter des positions acquises. La filière du bâtiment bénéficie bien plus largement du mécanisme des CEE que les transports. Mais pour financer la transition énergétique du matériel roulant, il y a d’abord une logique d’accompagnement du Capex. La région Auvergne Rhône-Alpes a la capacité de d’accompagner certains investissements, l’ADEME aussi. Encore faut-il faut savoir saisir les opportunités administratives.
Et puis, en matière d’Opex, en travaillant bien avec l’AOM l’engagement contractuel sur plusieurs années, on minimise le risque de se retrouver impacté par d’énormes variations sachant que le secteur de l’énergie est particulièrement fluctuant.
A propos d’Ambition France Transports que vous inspire les conclusions de la démarche ?
Elle a eu le mérite de poser le débat sur les besoins d’investissement et de pouvoir catégoriser un certain nombre de sujets. Pour autant, une loi-cadre qui s’inscrit dans le temps long ne permet d’apporter des réponses aux urgences.
Propos recueillis par Florence Guernalec