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L’hydrogène : Pilier central de la transition énergétique ?

L’hydrogène est aujourd’hui perçu comme un pilier essentiel de la transition énergétique, promettant de décarboner des secteurs clés tels que l’industrie lourde et les transports. Soutenu par un financement massif et des objectifs nationaux et européens clairs, son développement est au cœur des stratégies énergétiques de la France et de l’Europe. Mobily-Cités, en partenariat avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), explore les avancées technologiques et industrielles qui permettront d’accélérer l’adoption de l’hydrogène bas carbone.

En quelques années, l’hydrogène est devenu un acteur incontournable de la transition énergétique mondiale. Cependant, pour que cette molécule puisse réellement contribuer à la décarbonation des secteurs industriels, des transports et de l’énergie, sa production elle-même doit être décarbonée. Actuellement, bien que de nombreux défis financiers, technologiques et politiques persistent, la filière industrielle se structure progressivement, notamment en France, grâce à une stratégie nationale ambitieuse dans laquelle le CEA joue un rôle central à travers ses efforts en recherche et développement (R&D) et ses transferts industriels réussis.

Objectif 2050 : La neutralité carbone

D’ici 2050, plus de 70 pays, y compris ceux de l’Union européenne, visent à atteindre la neutralité carbone. Cet horizon 2050 impose une mutation en profondeur des systèmes énergétiques, avec des mesures drastiques en termes de sobriété et d’efficacité énergétique, une électrification massive (grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables), et l’avènement de l’hydrogène. Le dihydrogène, une molécule composée de deux atomes d’hydrogène, se distingue par ses multiples usages potentiels, pourvu qu'il soit produit sans émettre de CO2.

L’objectif est clair : parvenir à une production massive d’hydrogène bas carbone pour remplacer les énergies fossiles dans des secteurs cruciaux. Ce défi repose sur l’utilisation croissante de technologies de production comme l’électrolyse, couplées à des sources d’électricité bas carbone (énergies renouvelables, nucléaire). À mesure que ces technologies deviennent plus compétitives, elles jouent un rôle clé dans l’atteinte des objectifs climatiques.

Les multiples usages de l’hydrogène

Si l’hydrogène est déjà utilisé dans une poignée de véhicules équipés de piles à combustible, il est historiquement une matière première indispensable à l’industrie lourde. Dans les années à venir, avec la transition énergétique, ses usages vont considérablement s’étendre. Aymeric Canton, chef du programme stockage et solutions de flexibilité à la Direction des énergies du CEA, prévoit que l’hydrogène deviendra un élément majeur dans la fabrication de carburants de synthèse, notamment pour l’aviation. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime d’ailleurs que la demande mondiale en hydrogène pourrait être multipliée par cinq d’ici 2050.

Cela soulève toutefois des questions cruciales sur les conflits d’usage : comment prioriser les secteurs qui bénéficieront de cet hydrogène bas carbone ?

« Il est essentiel de réserver l’hydrogène et ses dérivés pour les applications difficilement électrifiables et sans autre solution de décarbonation », résume Aymeric Canton. Typiquement, ce sera le cas des vols long-courriers ou de certaines applications industrielles.

Industrie et transport : Moteurs de la demande en hydrogène

D’ici 2030, deux secteurs devraient devenir les premiers moteurs du marché de l’hydrogène bas carbone : l’industrie sidérurgique et le transport aérien. L’industrie, qui consomme aujourd’hui plus de 80 % de l’hydrogène produit en France, est principalement tournée vers le raffinage des produits pétroliers et la production d’ammoniac pour les engrais. Malheureusement, cet hydrogène est principalement produit à partir de méthane, un procédé émetteur de CO2.

Industrie aujourd'hui :

  • Raffineries et industrie chimique : L’hydrogène est utilisé dans le raffinage des produits pétroliers (pour éliminer le soufre), ainsi que pour produire de l’ammoniac (industrie des engrais) et du méthanol. Aujourd’hui, ces processus consomment environ 720 000 tonnes d’hydrogène par an en France.

Industrie demain :

  • Remplacement de l’hydrogène fossile par de l’hydrogène bas carbone dans les raffineries et l’industrie chimique.
  • Sidérurgie : L’hydrogène pourra remplacer le coke (charbon) pour réduire le minerai de fer dans la production d’acier, réduisant ainsi les émissions de CO2.
  • Chaleur haute température : L’hydrogène pourrait remplacer le gaz naturel dans les brûleurs de procédés industriels à forte température (ciment, verre, métallurgie).

Perspectives 2030-2035 :

  • La sidérurgie devrait être le principal moteur de la demande en hydrogène bas carbone, avec des volumes estimés à 18 millions de tonnes en 2035 en Europe, dont 216 000 tonnes en France.
  • L’avenir des raffineries est incertain en raison de la baisse attendue de la demande en carburants liée à l’électrification des véhicules, rendant les investissements en décarbonation peu attractifs.

Le transport : Un secteur en mutation

  • Le secteur des transports se prépare également à une transformation radicale grâce à l’hydrogène bas carbone. Si aujourd’hui les véhicules à piles à combustible sont rares, demain, les carburants de synthèse – produits à partir d’hydrogène et de CO2 – pourraient jouer un rôle essentiel dans la décarbonation du transport aérien et maritime.

Aujourd'hui :

  • Piles à combustible : L’hydrogène réagit avec l’oxygène dans une pile à combustible pour produire de l’électricité, sans émettre de CO2. Cependant, son utilisation directe comme carburant dans les moteurs à combustion souffre encore d’un faible rendement et génère des émissions nocives.

Demain :

  • Carburants de synthèse (e-carburants) : L’hydrogène bas carbone combiné à du CO2 pourra être utilisé pour fabriquer des carburants de synthèse tels que le méthanol, le méthane, le kérosène et le diesel. Ces carburants joueront un rôle majeur dans le transport aérien et maritime.

Perspectives :

  • Aérien : D’ici 2035, l’hydrogène représentera plus de la moitié de la demande du secteur, notamment en raison des exigences de la réglementation européenne, qui imposera dès 2035 l’utilisation de 20 % de carburants durables, dont 5 % d’e-kérosène, avec une augmentation à 70 % en 2050.
  • Poids lourds : La technologie des piles à combustible pour les camions lourds est encore en phase de démonstration, mais pourrait devenir une solution viable avant 2030.
  • Maritime : Bien que le potentiel de décarbonation soit important, la demande reste limitée pour l’instant. Toutefois, la réglementation européenne imposera une part croissante de carburants durables dans les années à venir.

La voie de l’électrolyse pour produire de l’hydrogène bas carbone

La technologie de l’électrolyse, qui consiste à décomposer l’eau en hydrogène et oxygène à l’aide d’électricité, est la méthode la plus prometteuse pour produire de l’hydrogène bas carbone. Trois technologies d’électrolyse sont actuellement en développement : l’électrolyse alcaline, l’électrolyse PEM (membrane échangeuse de protons) et l’électrolyse à haute température.

  • Électrolyse alcaline : La plus ancienne et mature des technologies, elle domine actuellement 60 % du marché mondial, mais reste principalement chinoise.
  • PEM (Proton Exchange Membrane) : Cette technologie est plus performante que l’alcaline, mais requiert l’utilisation de métaux rares et coûteux.
  • Électrolyse à haute température : Elle offre un rendement supérieur, mais nécessite des avancées pour réduire la dégradation des matériaux.

Un marché mondial en pleine expansion

D’ici 2030, la demande européenne en hydrogène bas carbone pourrait atteindre 20 millions de tonnes par an, nécessitant d’énormes investissements en infrastructure de production d’électricité bas carbone et en électrolyseurs. Si les technologies d’électrolyse sont prometteuses, la production à base de ressources fossiles coexistera encore quelque temps, en particulier avec la capture et le stockage du CO2.

Camille Valentin