« Le Navigo navigue enfin »
À seulement 31 ans, Dany Carvalho a déjà connu plusieurs vies. Officier de la marine marchande, il a parcouru la Baltique sur d’immenses ferries avant de tout quitter pour lancer RiverCat, une start-up francilienne convaincue du potentiel du transport fluvial urbain. Depuis juin 2024, deux navettes relient la Marne aux gares du RER A. Rencontre avec un entrepreneur passionné qui veut redonner au fleuve son rôle d’axe de mobilité.
Mobily-Cités – Vous avez un parcours atypique : d’officier de marine marchande à chef d’entreprise dans le transport fluvial urbain. Qu’est-ce qui vous a conduit à ce virage si radical ?
Dany Carvalho – J’ai grandi avec la mer et les bateaux, et c’est naturellement que je suis devenu officier. J’ai navigué sur des cargos, des ferries, parfois des mastodontes capables d’accueillir 3 000 passagers. Mais, au fil des traversées entre la Finlande et la Suède, je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de passer ma vie entière au large. Pendant mes études en Belgique puis en Finlande, j’ai découvert le transport fluvial urbain : là-bas, il est ancré dans les habitudes quotidiennes, alors qu’en France, il restait anecdotique. J’y ai vu une formidable opportunité. J’avais envie de créer quelque chose de nouveau, de plus proche des gens. Avec mes associés, nous avons donc fondé RiverCat en 2021.
Comment ce rêve s’est-il concrétisé ?
Tout a basculé lorsque l’intercommunalité Paris-Est Marne & Bois a lancé un appel d’offres pour expérimenter une navette fluviale entre Joinville et Neuilly-Plaisance. Avec mes associés Mathieu Bonnin, également officier de marine marchande et Sofian Seoudi, issu d’un autre univers professionnel, nous avions déjà travaillé sur un projet théorique, “Mon Beau Bateau”, qui imaginait plusieurs lignes en Île-de-France. Cette consultation tombait à pic. L’audace des élus, notamment Olivier Capitanio, a été déterminante : ils ont accepté de confier ce marché à une start-up sans expérience d’exploitation, nous étions les seuls candidats, mais il a fallu tout mettre en place en un mois : acheter un navire, en louer un autre, installer les embarcadères, le recrutement et lancer la ligne le 30 juin 2024. C’était un pari fou, mais nous l’avons relevé.
Quels services proposez-vous aujourd’hui et comment le public les accueille-t-il ?
Deux navires assurent actuellement la desserte : un grand bateau de 100 places et un plus petit de 25 places. Ils sont dimensionnés en fonction des liaisons. Le service est pensé comme un vrai transport public : nous relions directement les gares du RER A à des quartiers jusqu’alors enclavés. Les habitants ont adopté la navette : 90 % de nos passagers ont abandonné leur voiture, ce qui représente un report modal massif. Et comme les embarcadères se trouvent à proximité immédiate des habitations, les gens viennent à pied. C’est vraiment une solution de mobilité de proximité.
L’intégration récente au passe Navigo semble marquer une étape symbolique forte.
Absolument. Nous voulions dès le départ que le fluvial ne soit pas perçu comme une curiosité, mais comme une composante à part entière du réseau francilien. Depuis 2025, nos navettes sont intégrées au Navigo. Je dis souvent, en clin d’œil : “le Navigo navigue enfin”. En termes de fréquentation, nous atteignons les objectifs fixés par l’étude préalable. En heure de pointe, nous assurons une rotation toutes les 20 minutes ; en heures creuses, le rythme est moindre, faute de flotte suffisante. Côté modèle économique, c’est un marché public classique : l’intercommunalité nous rémunère pour assurer le service. Mais ce qui compte, c’est que la fréquentation soit au rendez-vous.
Quelles sont maintenant vos perspectives de développement ?
L’Île-de-France, c’est 700 kilomètres de voies navigables et plus de 2,5 millions d’habitants qui vivent au bord de la Seine ou de la Marne. Le potentiel est colossal. Nous voulons ouvrir de nouvelles lignes en Seine-Amont, en Seine-Aval, et pourquoi pas au cœur de Paris. Bien sûr, à Paris intra-muros, nous n’entrerons jamais en concurrence avec les compagnies touristiques, ce n’est pas notre métier. Nous, nous proposons un service de transport public : l’équivalent de bus fluviaux. C’est complémentaire. Nous avons d’ailleurs répondu à un appel à projets d’Île-de-France Mbolités et d’Haropa Paris pour une ligne régulière entre Alfortville et Boulogne-Billancourt, via le centre de Paris, avec une flotte de six bateaux électriques. La décision est attendue fin 2025.
Et d’autres territoires nous sollicitent : l’Essonne, par exemple, où la navette pourrait relier Soisy-sur-Seine à Vigneux-sur-Seine via Ris-Orangis, Draveil, Juvisy-sur-Orge, et désengorger des parkings saturés autour du RER. Partout, l’enjeu est le même : redonner au fleuve sa vocation première. Trop souvent, la Seine et la Marne sont réduites à de simples décors touristiques. Avec RiverCat, nous voulons prouver que le bateau peut redevenir un maillon essentiel du quotidien francilien.
Propos reccueillis par Pierre Lancien