L’histoire d’Ebusco, un constructeur néerlandais de bus électriques aux ambitions démesurées, a pris un tournant inattendu. Cette entreprise, qui avait promis de révolutionner le transport en commun propre, se trouve aujourd’hui au bord du précipice financier. Pourtant, l’espoir demeure, et c’est sur le site de Cléon, dans la métropole rouennaise, que le rêve électrique pourrait encore renaître de ses cendres. Ce 24 octobre, un plan de redressement a été présenté aux actionnaires, dévoilant des mesures drastiques pour sauver l’entreprise d’une disparition annoncée.
Ebusco, avait inauguré en 2024 une usine flambant neuve à Cléon. Ce site normand, censé être le joyau industriel de l’entreprise aux côtés de ses installations néerlandaises, avait pour ambition de devenir un pilier du transport électrique en Europe. Cependant, les difficultés financières croissantes et un modèle de production coûteux ont progressivement ébranlé ce rêve. Selon les prévisions initiales, Ebusco devait produire 600 bus en 2023. Hélas, seules 372 unités ont quitté les chaînes de montage, un chiffre bien en deçà des attentes, jetant un doute sur la pérennité de l’usine de Cléon.
Un plan de redressement pour éviter la catastrophe
Confrontée à une situation périlleuse, Ebusco a décidé de revoir en profondeur sa stratégie de production. Christian Schreyer, le nouveau PDG, n’a pas hésité à prendre des mesures radicales, afin d’économiser près de 30 millions d’euros par an. Le plan de redressement présenté aux actionnaires prévoit une réduction importante des effectifs ainsi qu’un recours accru à la sous-traitance. La quasi-totalité de l’assemblage des bus, autrefois centralisé au sein de l’usine, serait désormais confiée à des sous-traitants externes. Seuls les travaux d’assemblage de la coque des véhicules seraient maintenus à Cléon, remettant en question la promesse initiale de créer un véritable hub industriel en Normandie.
L’objectif initial d’embaucher 300 salariés à Cléon semble aujourd’hui inatteignable. À ce jour, seuls 40 employés occupent les lignes de production, un chiffre qui risque de stagner, voire de baisser, si le transfert de l’assemblage se concrétise. Face à cette incertitude, les représentants syndicaux de l’usine Ampère à Cléon ont exprimé leur inquiétude lors du comité social et économique (CSE) du 24 octobre. Pour l’instant, la direction reste discrète, se contentant d’assurer qu’« aucun licenciement n’est prévu », mais les employés, eux, redoutent des lendemains difficiles.
Métropole de Rouen, partenaire vigilant
Ebusco est aussi partenaire de la Métropole Rouen Normandie, qui a misé sur ses bus électriques pour verdir son réseau de transport public. Une première commande de 14 bus de 18 mètres est attendue en décembre, complétée par 15 unités supplémentaires en 2024. Pourtant, à ce jour, seuls neuf véhicules ont été livrés, les autres restant bloqués en raison des difficultés de production. Cette attente pourrait s’éterniser, la Métropole ayant reçu l’assurance que certaines livraisons seraient honorées avant l’été 2025, avec le reste prévu pour la fin de l’année. Pour patienter, elle espère un « déblocage d’un lot de bus en renfort » pour répondre aux besoins immédiats des usagers.
L’engagement de la Métropole Rouen Normandie dans cette collaboration traduit son ambition de devenir un modèle de transition énergétique dans les transports. Cependant, la situation d’Ebusco fait planer une ombre sur cet idéal. Les autorités locales se disent en contact régulier avec l’entreprise pour assurer le suivi des livraisons, mais la confiance est ébranlée. Cette dépendance vis-à-vis d’un partenaire en difficulté fragilise la politique de transport de la métropole, qui risque de revoir ses plans en cas de défaillance de son fournisseur.
Un avenir en pointillé, entre finance et industrie
Les actionnaires d’Ebusco ont eux aussi pris la mesure de la situation. Le 24 octobre, ils ont validé une levée de fonds de 36 millions d’euros par émission de nouvelles actions. Cet effort financier vise à pallier les pertes accumulées et à soutenir le plan de redressement. En deux ans, la valeur de l’action Ebusco a fondu comme neige au soleil, passant de 27 € début 2022 à seulement 49 centimes au 25 octobre, soit une chute vertigineuse qui témoigne de la méfiance des investisseurs. Cette perte de confiance dans les marchés boursiers est le reflet d’un contexte où les entreprises du secteur de l’électromobilité, pourtant en plein essor, peinent parfois à concrétiser leurs promesses.
L’incertitude reste donc grande pour Ebusco. L’entreprise doit à la fois rassurer ses investisseurs, sécuriser ses partenariats commerciaux et rétablir sa crédibilité auprès de ses clients institutionnels comme la Métropole Rouen Normandie. Le choix de la sous-traitance, bien que potentiellement salvateur à court terme, soulève de nouvelles questions quant à l’identité industrielle d’Ebusco. Cette externalisation pourrait lui permettre de réduire ses coûts, mais elle risque aussi de diluer son savoir-faire et de fragiliser sa capacité à innover dans un secteur ultra-concurrentiel.
Cléon, espoir fragile ou symbole d’une désindustrialisation ?
À Cléon, l’usine, autrefois promesse d’une révolution industrielle verte, pourrait bien devenir le symbole d’un échec si le plan de redressement ne parvient pas à stabiliser l’entreprise. La question qui se pose désormais est celle de la viabilité du modèle industriel d’Ebusco en France. Alors que le gouvernement prône la réindustrialisation et le retour de la production nationale, la dépendance accrue à la sous-traitance d’Ebusco va à contre-courant de cette ambition. Le cas d’Ebusco rappelle les défis auxquels sont confrontées les entreprises de la transition énergétique, qui doivent jongler entre innovation, rentabilité et exigences de production.
L’avenir d’Ebusco est suspendu à un fil, tout comme celui de Cléon. Pour les employés de l’usine, la promesse d’un emploi stable dans une filière d’avenir s’éloigne à mesure que la pression financière se resserre sur leur entreprise. La région de Rouen, qui avait salué l’installation de ce site comme un succès, observe désormais avec appréhension l’évolution de la situation. Le plan de redressement d’Ebusco pourrait bien être son ultime chance de maintenir sa présence en Normandie, mais il porte en lui le risque de voir s’évanouir une part du rêve industriel que l’entreprise avait insufflé.
Entre espoir et résignation, l’histoire d’Ebusco est celle d’un pari audacieux, menacé par les réalités d’un marché où les engagements sont aussi volatils que l’électrique lui-même.
Pierre Lancien